Régénérescence Nadalienne
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A peine avait-il commencé à glaner quelques titres plus ou moins prestigieux qu’un grand nombre d’experts se prononçaient déjà sur la longévité de sa carrière sportive, en effet, les discours s’accordaient de façon quasi-unanime quant à la sentence : Rafael Nadal était condamné à une retraite prématurée en raison d’un jeu beaucoup trop energivore, grosso modo, selon eux, un corps normalement constitué ne pouvait pas supporter longtemps les traumatismes à répétition infligés par son style de jeu extrêmement physique. Encore une pensée cartésienne que l’Espagnol - qui par ailleurs est très cartésien - a finalement mis à mal. Il est évidemment facile de s’en moquer aujourd’hui mais ces mots qui jadis furent prononcés par une pléiade de commentateurs sportifs et autres experts du tennis, n’étaient pas totalement infondés puisque très tôt dans sa carrière, plus précisément en 2006 alors qu’il a 19 ans, aux aurores donc, il réveille une vieille douleur au pied gauche due à une anomalie génétique et se blesse gravement à un os que l’on appelle le scaphoïde tarsien. Un os situé au-dessus du cou-de-pied sur la face interne. La blessure est si grave que le médecin spécialiste lui dit qu’il y a de fortes chances pour que cela le force à arrêter sa carrière de tennisman, le diagnostic est presque sans appel, Nadal complètement abattu envisage alors sérieusement à se convertir au golf, sa seconde grande passion.
Heureusement pour nous que la science progresse considérablement, en effet ces longs mois de repos et de rééducation lui auront été bénéfiques mais c’est bien l’invention d’une semelle bien spécifique et sur mesure, ayant pour rôle de réduire la pression exercée sur l’os fragilisé, qui lui permet de jouer sur le long terme et d’éviter la rechute qui aurait très certainement mis un terme à sa carrière. Aujourd’hui, il en garde encore des séquelles, ça l’a fait et continue de le faire souffrir, d’ailleurs, il l’a dit dans son autobiographie et en interview, ça a été longtemps son talon d’Achille, malheureusement l’une des premières grandes souffrances d’une longue série.
Ses blessures, on ne les compte plus, il y en a eu une multitude plus ou moins graves, souvent liées à ses genoux et qui l’ont contraint à l’abandon ou à renoncer à la participation d’un nombre conséquent de tournois importants. Son corps est meurtri, c’est indéniable, et en vieillissant on ne peut pas dire que ça s’arrange, les séquelles se multiplient et fragilisent un peu plus les éléments physiques et mentaux essentiels à la pratique du tennis, sans compter les effets du temps qui font décrépir naturellement les choses. Logiquement, on devrait le sentir plus affaibli après chaque retour à la compétition mais que nenni, ses come back sont pour la plupart légendaires. Après le gain de son 19e titre du Grand Chelem à l’US Open, j’étais bouleversée par ce que je considère personnellement comme l’un des plus grands accomplissements de l’Histoire du tennis et c’est avec les larmes aux yeux que je me faisais la réflexion suivante : « comment a-t-il fait ? ».
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C’est simple, je ne l’avais jamais vu dans un état de fatigue pareil (au-delà de l’après finale de l’OA 2012) - comme la plupart des personnes connaissant très bien la carrière de Rafa. Ce qu’on pouvait lire directement sur son visage aux traits extrêmement tirés et sombres, voire déformés de fatigue, était à mon sens la somme visible de tous les efforts qu’il avait dû fournir depuis la fin de l’année 2018 pour revenir à ce niveau. Ce fut en effet un long chemin parsemé d’embûches : les multiple blessures (genoux, cheville, abdo...), mais aussi la lutte acharnée contre la pernicieuse apparition des doutes liés à ces mêmes blessures, d’énormes doutes qui l’ont fait envisager de mettre un terme à sa saison avant même sa participation à Roland Garros. Et pourtant... Je le contemplais-là, complètement effondré de joie et de soulagement prêt à accueillir son deuxième trophée du Grand Chelem de l’année après l’une de ses meilleures tournée américaine. Il ne pouvait contenir ses larmes, là aussi, c’était la première fois que je le voyais aussi émotif. Si son visage marqué était le résultat apparent de ses efforts inhumains, ses larmes et ses longs sanglots traduisaient à mon sens en grande partie la joie incommensurable de pouvoir en jouir encore. Pour lui qui une dizaine d’années avant se rangeait humblement du côté de ceux qui ne croyaient pas en sa longévité, déclarant à un journaliste qu’il ne pourrait certainement pas jouer à haut niveau au-delà de trente ans, ce nouvel exploit était doublement grandiose car il prouvait encore au monde et à lui-même que ses ressources sont inépuisables.
Sa grande force régénératrice est symptomatique chez les plus grands sportifs de notre ère, elle est due principalement à son intelligence, à ses capacités physiques hors normes mais aussi à sa capacité à continuellement se remettre en question pour améliorer son jeu ou du moins le métamorphoser en même temps que sa propre métamorphose corporelle imposée par le temps. En devenant en quelque sorte complice du temps il réussit à créer l’illusion de pouvoir s’en affranchir, donnant l’impression que celui-ci n’a pas d’emprise sur lui. Il est sûrement moins rapide, moins physique, moins résistant, moins puissant mais on ne le remarque presque pas, de la même façon qu’un Roger Federer ou qu’un Novak Djokovic par exemple. Peut-être est-ce mon amour pour Nadal qui m’aveugle mais du point de vue de la métamorphose et de la régénérescence tennistique c’est bien l’Espagnol qui m’impressionne le plus car plus fragile et le plus sujet à la défaillance physique que les deux autres monstres. Une caractéristique vraiment paradoxale parce que sa capacité physique est une de ses grandes armes, ça a d’ailleurs était longtemps ce qui ressortait le plus lorsqu’on parlait de lui à l’époque où il pratiquait un tennis plus défensif. Le jeu défensif lorsqu’il est spectaculaire est effectivement ultra démonstratif de tous les éléments qui composent le physique : l’endurance, la vélocité, la puissance et cette impression d’homme-mur infranchissable (certainement le meilleur dans le domaine avec Djokovic). Depuis 2017 et sa collaboration avec Carlos Moya, son jeu a beaucoup évolué, il est plus agressif, offensif et a tendance à s’améliorer et à mettre sa main exceptionnelle en avant (quel merveilleux volleyeur) ainsi que son incroyable infaillibilité tactique...
Encore un superbe article, sur un joueur que j'adore qui plus est et qui manque au circuit ! :) Merci Mister_Pink de nous partager tes écrits toujours aussi intéressants ! :D
Encore un délice de te lire Pink ! Merci ! Et très jolies Fêtes de Noêl...^^ ;) Bisous. :)